Quel avenir pour la psychanalyse ? Cette thématique, dernière de ce cycle de trois colloques, était la thématique à laquelle je souhaitais le moins me frotter lorsque ce cycle a été élaboré. Comment parler de l’avenir de la psychanalyse et pour dire quoi ?

Dans « L’avenir d’une illusion » Freud écrit : « le présent doit être devenu le passé si l’on veut en retirer des points de repère pour porter un jugement sur ce qui est à venir »[1]. Cette phrase, qui sonne bien, est facilement compréhensible à la première lecture et donc finalement complexe car échappant à ce qui m’a semblé en comprendre. J’y ai tout d’abord entendu qu’il n’était pas possible de parler de l’avenir. J’y ai perçu ce que je voulais bien lire, en venant donner de l’eau à mon moulin, bon moyen de poursuivre mon positionnement de résistance par rapport au travail pour notre rencontre de ce jour. Mais si nous revenons à la phrase de Freud, dans la deuxième partie, il écrit bel et bien qu’il est possible de « retirer des points de repère pour porter un jugement sur ce qui est à venir ». Je ne pense pas juger ce qu’il en sera de l’avenir mais tenter de proposer des jalons pour cette thématique qui nous rassemble de « Quel avenir pour la psychanalyse ? » Je vais tenter de m’y essayer puisque je suis là devant vous et que mon inhibition n’a pas pris le pas sur mon désir d’y être.

 

Pourquoi commencer en pointant ma propre inhibition ? Il me semble que l’un des nœuds concernant l’avenir de la psychanalyse réside dans l’inhibition. Je reçois dans ma consultation des étudiants en psychologie, voire des diplômés en psychologie, or, l’un des éléments qui ressort des séances est leur appréhension à commencer à travailler. Certains parlent même de faire des boulots alimentaires ne se sentant pas prêt à la rencontre clinique. Lorsqu’ils déplient leurs associations de pensées, ce qui émerge est leur peur de ne pas savoir faire, voire l’angoisse que la perspective de commencer à travailler produit. Pour d’autres, la difficulté se localise dans le fait qu’un emploi dans la clinique n’est pas comme un autre emploi, qu’ils imaginent plus reposant. Ce travail nécessite rigueur et engagement, ils ont raison mais, pour autant, il n’a pas à être laborieux. Une personne de dire « mais pourquoi alors j’ai choisi de faire des études de psychologie, qu’est-ce que je suis venu chercher ? ». Excellente question restant pour le moment posée à son moi et la résistance qui s’accompagne à entendre quelque chose de son désir inconscient. En effet, il n’y a pas d’obligation à travailler dans le champ de la clinique mais quand même, cinq années d’études et pour finalement ébaucher une idée de remise à plus tard ou d’abandon. Il n’y a pas de jugement de ma part mais juste ce constat de ce que l’être peut se faire vivre pour ne pas avancer, pour ne pas se frotter à ce qui peut être effrayant mais qui l’anime, pour preuve le plaisir nommé en référence aux stages où la rencontre clinique a lieu.

 

L’inhibition ne fait pas bon alliage pour préparer l’avenir. Il y a de nombreux écrits allant dans le sens de fustiger la psychanalyse ou annonçant la mort de celle-ci, son autodestruction et d’autres gentillesses de ce genre. Sans m’attarder sur le versant de cette agressivité que l’on peut lire ou entendre, je préfère m’attacher à la part qui nous concerne. Il y a une exigence pour aller vers le mieux qui doit être de mise pour les psychanalystes, plutôt que d’aller se frotter à ce qui nous anime du côté de la résistance ou de l’inhibition. Certains voient la fin de la psychanalyse mais de quelle fin s’agit-il, pourrait-on se demander. Il est peut-être plus aisé de projeter son agressivité, sa haine sur l’autre, plutôt que de regarder chez soi et de tenter d’avancer. La meilleure voie pour faire avancer la psychanalyse apparaît être celle de témoigner avec rigueur de notre travail mais aussi de s’inscrire dans une curiosité intellectuelle, qui était de mise auparavant dans ce champ et qui est une critique pointée actuellement. Donc ne pas plier sous le poids de la parole de l’autre muée en Autre non barré mais de retirer de cette parole des éléments pour rebondir et travailler. Mais pour se faire encore y a-t-il à être soi-même dégagé de ce qui peut faire résistance. Le lieu le plus indiqué pour voir cela de plus près est, bien sûr, le divan, car la psychanalyse n’est pas en cause mais les psychanalystes oui dans le soin ou le peu de soin qu’ils portent à la psychanalyse et à leur psychanalyse.

 

J’ai vu une publicité dernièrement et j’ai été attrapée par quelque chose. Il y avait un enfant qui parlait de pouvoir. C’est un truc d’enfant ça, l’idée des superpouvoirs, mais ça peut persister un peu comme idée de fond à l’âge adulte, lorsque les filets de la castration symbolique ne sont pas passés. Donc cet enfant disant que son pouvoir c’est d’apprendre. Eh oui, pas voler ou autre chose comme ça mais tout bêtement d’apprendre. De l’ériger en superpouvoir j’ai trouvé cela percutant pour une publicité, une publicité de cours particulier. Mais pour pouvoir apprendre encore y a-t-il à accepter, admettre qu’il y a à apprendre et donc que nous manquons. En ce point vient se lier la question du désir, du désir de savoir.

 

Dans « Inhibition, symptôme et angoisse », Freud écrit : « L’inhibition au travail, qui souvent devient objet du traitement comme symptôme isolé, nous montre un plaisir-désir diminué ou une exécution détériorée ou des manifestations réactionnelles comme la fatigue (vertige, vomissement) lorsque la continuation du travail est obtenue par contrainte »[2]. « Bien des inhibitions sont manifestement des renoncements à la fonction, parce que, dans l’exercice de celle-ci, de l’angoisse serait développée »[3].  Freud nous indique qu’il y a une relation entre l’inhibition et l’angoisse et que bien souvent la voie de l’inhibition[4] est empruntée, par exemple, concernant des écrits à produire, du fait de l’angoisse. Ce qui est diminué étant le plaisir-désir mais lorsque le désir revient sur le devant de la scène, dégagé de ce qui peut le plomber, alors le plaisir est au rendez-vous. Le frottement à l’angoisse produirait donc un effet d’inhibition mais où nous mène cette question de l’angoisse ?

 

Dans le Séminaire intitulé « D’un Autre à l’autre », Lacan dit : « Le savoir, à l’extrême, c’est ce que nous appelons le prix. Le prix s’incarne quelquefois dans de l’argent, mais le savoir aussi, ça vaut de l’argent, et de plus en plus. C’est ce qui devrait nous éclairer. Ce prix est le prix de quoi ? C’est clair – c’est le prix de la renonciation à la jouissance »[5]. Cette renonciation à la jouissance passe par la castration, la castration symbolique[6]. La jouissance précisément ce n’est pas le désir. La phrase célèbre de Lacan, qui pointe que le désir naît du manque, lie le fait que tant que nous n’acceptons pas de céder sur notre jouissance, nous ne payons pas ce prix salutaire qui permet d’ouvrir la voie du désir. Payer le prix de la jouissance fait problème car cette affaire du manque est régulièrement entendue comme privation, c’est-à-dire quelque chose qui serait effectué dans le réel, alors que c’est sur une autre scène que cela se joue. Et, une fois encore, c’est sur le divan que cela peut s’approcher. Dans cette affaire de l’inhibition, il n’y a pas à négliger la part du sujet par rapport au savoir car s’il y a bien un savoir que l’être tente de méconnaitre c’est celui de son manque.

 

C’est là où la psychanalyse a une importance pour la prise en soin du désir. Lacan, dans le séminaire D’un Autre à l’autre dit : « Le point-origine à entendre, non pas génétiquement, mais structuralement, quand il s’agit de comprendre l’inconscient, est le point nodal d’un savoir défaillant. C’est là où le désir naît, et sous la forme de ce qui peut donc s’appeler le désir de savoir, à condition d’en mettre les deux derniers mots dans une sorte de parenthèse, car il s’agit du désir inconscient tout court, dans sa structure »[7]. C’est ce je-ne-sais-pas qui motive le désir de savoir. Mais précisément la difficulté des étudiants peut résider dans le fait que ce je-ne-sais-pas est pris dans les mailles d’un manque qu’il ne faut pas donner à voir car il y aurait ce fantasme qu’il faut savoir. Cette question du savoir, le discours universitaire le place au centre. Mais la notion du savoir[8] dont parle Lacan est bien différente du savoir universitaire qui est en lien avec un « plus-de-jouir »[9], qui vient boucher les trous du manque. Les étudiants sortent avec un savoir et manquer sur ce savoir apparaît comme inacceptable ou inavouable, d’où la difficulté parfois à écrire ou à travailler et donc à se frotter à ce manque, à un savoir qui ne serait pas complet. Je parle des étudiants car ils sont éventuellement de futurs cliniciens qui s’engagent dans le champ de la psychanalyse. Et les étudiants actuels ou les jeunes cliniciens seront les psychanalystes de demain. Mais cela vaut pour tous les cliniciens engagés dans ce champ et occupant la position de supposé psychanalyste ou de psychanalyste. Il y a à savoir en effet mais pas ce savoir qui inhibe et empêche. Il y a à savoir mais chaque jour permet d’en savoir davantage et ce leurre, cet imaginaire de tout savoir est ce qui vient au plus au point nuire à la psychanalyse car la psychanalyse c’est précisément cette expérience du pas-tout, cette expérience qu’il manque symboliquement, et qui produit le désir.

 

Au RPH, il y a des groupes d’études où la lecture de l’œuvre de Freud pour commencer puis celle de Lacan, sont réalisées. Cette lecture est chronologique et non éparse comme lorsque l’on étudie à l’université certaines thématiques. Cette lecture chronologique permet de lire l’évolution de la pensée et qu’il n’est pas question d’un savoir qui serait déjà constitué et complet. Lacan insiste d’ailleurs beaucoup sur ce point dans ses Séminaires qu’un savoir qui serait du côté de la compréhension entière et finie serait un drame[10]. Ce savoir produit un effet d’inhibition car il est du côté de ce « plus-de-jouir », sur quoi l’être ne cède pas facilement. Savoir sur son désir inconscient implique de renoncer à la jouissance, cette jouissance d’être abreuvé du bon lait bien remplissant de maman, de ne pas payer pour pouvoir avancer et simplement vivre sa vie. 

 

Le titre que j’ai proposé pour mon intervention de ce jour est A venir … du désir. En effet, la question du désir est le centre de l’affaire de la psychanalyse car ce qui émerge dans une psychanalyse c’est la question de son désir. Bien sûr si je pointe cela c’est grâce à la lecture de Freud, de Lacan et du travail au sein du RPH mais aussi par l’expérience qui est la mienne. 

 

Pourquoi avoir voulu entrer au RPH, pourquoi m’inscrire dans cette école de psychanalyse ? Dans les autres écoles, ce qui était frappant lorsque j’étais étudiante et que j’allais dans des séminaires ou des colloques, c’était le fait que les psychanalystes, que j’y entendais, parlaient puis partaient ou parlaient à la fin avec des personnes d’un âge certain tout comme eux. Alors certainement que je m’inhibais mais je ne savais pas comment aller leurs parler, même si  je restais un peu à trainer près d’eux. Au premier colloque du RPH auquel j’ai assisté il en fut tout autrement. La qualité était aussi au rendez-vous et Fernando de Amorim est venu me parler et pas pour ne rien dire mais pour m’interroger sur mon désir clinique, quel avenir j’envisageais et si j’étais prête à me mettre au travail. Tout cela avec bienveillance et énergie mais sans perdre de temps par des détours inutiles, droit au but. Et ça a fait mouche. Je suis repartie enjouée et suis donc revenue au RPH, après une rencontre avec le secrétaire général. Et je suis devant vous aujourd’hui. Bien entendu, je continue à travailler parce que je repère, même si ça a parfois du mal à rentrer mais j’y travaille sur le divan, que ne pas travailler, ne pas avancer est du bon pain pour nourrir ma résistance et qu’indéniablement c’est source de souffrance.

 

Quelle est la proposition du RPH, initiée par Fernando de Amorim ? Eh bien, de permettre aux étudiants de ne plus être spectateurs inhibés d’une scène qui se déroulerait devant eux et à laquelle ils laissent les grands participer. Je nomme grands les psychanalystes que j’entendais étudiante et que je continue à aller écouter. Le RPH permet aux personnes qui en ont le désir de travailler rigoureusement et joyeusement à la clinique. De former des psychanalystes qui seront les psychanalystes de demain car de grand, l’être passe à vieux puis disparaît, c’est le cours de la vie. Aussi, rester à compter sur les autres pour la psychanalyse n’est pas un bon calcul car ces autres ne sont pas des Autres. Commencer à se former au plus tôt pour pouvoir justement être des psychanalystes œuvrant pour la psychanalyse et amis de notre désir.

 

Dans la tradition des indications formulées par Freud mais aussi par Lacan, le RPH suit une proposition de former au plus tôt les futurs psychanalystes et de venir nourrir le désir plutôt que de l’étouffer. Mais aussi de permettre la rencontre psychanalytique pour le plus grand nombre. Voici ce que le RPH propose de faire. De permettre la rencontre de deux désirs, celui du clinicien et celui de l’être en souffrance. Ce que la rencontre de ces deux désirs peut faire naitre c’est une psychanalyse. Bien sûr pour se faire il y a du travail à fournir du côté du clinicien mais justement cela œuvre pour la psychanalyse, pour le psychanalysant, qui a aussi à travailler, et pour le supposé psychanalyste. Il y en a quelques uns qui veulent plomber cette expérience peut-être parce que cela fonctionne et non ami de son désir l’être n’est pas forcément enclin à ce que cela fonctionne. Je dis ceci sans jugement moral mais le jugeant sévèrement de la part de personne engagée avec la psychanalyse. Cela du fait de ma pratique, encore au travail, de psychanalysante. La haine a en effet à se voir sur le divan plutôt que de se déverser sur la psychanalyse créative et vivante.

 

C’est notre résistance à avancer qui peut nuire à la psychanalyse. Que nous soyons psychanalystes, supposés psychanalystes ou mués par le désir de devenir psychanalystes. Lorsque nous résistons, alors notre rapport avec la psychanalyse devient tourmenté et mou plutôt que d’être dynamique et joyeux. Il est de notre responsabilité de construire l’avenir de la psychanalyse et pas juste d’en rester au passé et de compter avec d’autres ou l’Autre[11]. Cette responsabilité c’est une responsabilité vis-à-vis de notre désir. Faire vivre la psychanalyse par la clinique quotidienne, la psychanalyse nous faisant vivre quotidiennement, et prendre soin de bien dire quand nous en parlons. Cela s’apprend, comme le dit très bien le dicton c’est en forgeant qu’on devient forgeron et, ajouterais-je, non en étant spectateur inhibé. Fernando de Amorim emploie l’expression de forger des psychanalystes. Pour forger le fer il faut le faire chauffer pour qu’il y ait une souplesse et qu’il soit possible de le travailler. Les cliniciens du RPH ne sont pas lancés dans les braises ardentes du four mais soutenus et responsabilisés, en nourrissant le feu du désir. Là où l’on peut entendre certains alourdir leur énergie afin de dire que la psychanalyse va mal, se meurt ou s’autodétruit, il y a d’autres voies comme celle que soutient le RPH et que Fernando de Amorim porte depuis longue date à savoir de permettre, au plus tôt, de commencer à travailler cliniquement et de devenir un artisan de la psychanalyse. Nous avons une responsabilité par rapport à notre désir pour le faire grandir mais lorsque nous sommes engagés dans la clinique nous avons aussi une responsabilité, par rapport aux personnes qui viennent nous rencontrer, de ne pas saboter le travail. Le divan est le lieu le plus adéquat pour tenir lieu de garde fou. Le repère fondamental me semble t-il pour l’avenir de la psychanalyse est celui du désir, un désir passé par les mailles de la castration symbolique et non un désir imaginaire teinté de haine et de destructivité. La psychanalyse est née du désir d’un homme puis de quelques autres. Voici un repère fondamental pour l’avenir, un désir porté par un sujet cela compte.

 

 



[1] Freud, S. (1927) L’avenir d’une illusion, in Œuvres complètes, vol. XVIII, PUF, Paris, 2002, page 145.

[2] Freud, S. (1926), Inhibition, symptôme et angoisse, in Œuvres complètes, vol. XVII, PUF, Paris, 2006, p. 207.

[3] Ibid., p. 206.

[4] En lien avec l’inhibition quant au travail, Freud fait référence au surmoi dans sa dimension punitive qui entraverait la mise au travail. Une fois encore le divan est le lieu le plus indiqué pour pouvoir apaiser la résistance du surmoi et que le surmoi puisse reprendre sa place bienveillante et non punitive.

[5] Lacan. L. (1968-1969), le Séminaire, Livre  XVI, D’un Autre à l’autre, Seuil, Paris, 2006, p. 39.

[6] « Ce manque qui subsiste au niveau du sujet naturel, du sujet de la connaissance, du faux-être du sujet, ce manque qui, de toujours, se définit comme essence de l’homme et qui s’appelle le désir, mais qui à la fin d’une analyse se traduit de cette chose non seulement formulée mais incarnée qui s’appelle la castration ». Lacan. J. (1967-1968), le Séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, édition hors commerce, p. 85.

[7] Op. cit., p. 274.

[…] « C’est pour autant que le désir de l’Autre est informulable dans le fantasme traumatique que le désir prend germe dans ce qui peut s’appeler le désir de savoir, avec de savoir entre parenthèses ».

[8] « Le désir de savoir n’a aucun rapport avec le savoir […] Le désir de savoir n’est pas ce qui conduit au savoir. Ce qui conduit au savoir, c’est […] le discours de l’hystérique ». Lacan. J. (1969-1970), le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, p. 23.

[9] Néologisme de Lacan, qu’il emploie dans son Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, en lien avec la notion de plus-value de K. Marx.

[10] Ce mot fait écho au drame de l’expérience du miroir où l’enfant jubile de se voir dans une image unifiée de lui-même.

[11] Je fais référence notamment à Freud et Lacan, dès lors qu’ils sont mis en position de pères imaginaires qui détiendraient un savoir auquel s’abreuver, en s’inhibant soi-même à se mettre au travail.