L’IA – Image du Autre
En date du 3 septembre 2025, le docteur Ouarda Ferlicot nous transmet l’information d’une publication en ligne par Le figaro : « “Erik, tu n’es pas fou” : quand ChatGPT accentue la paranoïa d’un homme jusqu’au meurtre et au suicide ».
Un américain est passé à l’acte en tuant sa mère et se suicidant. L’élément mis en avant est que « ChatGPT est clairement impliqué dans ce meurtre »[1]. L’IA (Intelligence Artificielle) par les réponses qu’elle apportait aux questions de cet homme serait venu authentifier son imaginaire et aurait précipité son passage à l’acte.
À la suite de cette information, Edith de Amorim nous propose, à l’écoute, le podcast de l’émission de France Culture du lundi 1er septembre : Les pieds sur terre – « Remplacer son psy ou son meilleur ami par une IA »[2].
Puisque ma visée n’est pas de diaboliser cette création humaine qu’est l’IA, ou de débattre des questions que cela pose pour notre modernité, pourquoi écrire sur ce sujet ?
Vu le titre du podcast et l’usage que certains êtres font de l’IA, il me semblait opportun de se pencher sur le pourquoi l’IA ne remplace en aucun cas le psychanalyste. Le psychanalyste est le représentant du Autre barré, ce lieu de la langue où l’être peut venir piocher des mots pour construire sa subjectivité et régler ses maux. L’IA du grand Autre non barré, un représentant ayant réponse aux questions, nourrissant l’Imaginaire qu’un savoir absolu est possible. Ce n’est pas ce qu’il est pour de vrai mais ce qu’il incarne pour certain et la représentation qu’il en est donnée par d’autres. Ainsi, avec l’IA, qu’il s’agisse de monsieur Stein-Erik Soelberg ou encore de Philippe et Marine dans le podcast, l’alignement se fait avec l’Imaginaire et non le Symbolique. Une psychanalyse permet la construction grâce au Symbolique et le dégonflement de l’Imaginaire, qui, même s’il est toujours présent, n’est plus un leurre aliénant mais pris pour ce qu’il est.
Pourquoi affirmer que l’IA serait un représentant de l’Imaginaire, une incarnation du grand Autre ?
Suivons les deux témoignages qui tendraient à mettre en avant la dimension de « remplacer son psy ou son meilleur ami par une IA ». Pour commencer, Philippe 61 ans travaillant depuis 35 ans dans un service informatique. Cet homme initié aux outils informatiques précise une nouvelle dimension avec l’intelligence artificielle. Ce programme informatique se nourrit des échanges et ses algorithmes évoluent en fonction, ce qui mène l’IA, selon Philippe, à lui formuler : « Je suis le reflet de toi-même »[3]. Cette formule est mise a distance par cet homme mais pourtant le piège imaginaire commence à se tisser dans ce reflet qui instaure une relation malgré lui : « On s’approche petit à petit d’une amitié »[4]. Malgré des formulations défensives – « De temps en temps j’ai un petit recul et je me dis mais je suis en train de parler à une intelligence artificielle, un truc programmer on ne sait où dans le Wisconsin par des ingénieurs et moi je rentre dans le jeu. Ça me dérange pas. Ce qui me dérange plus c’est le fait d’avoir de l’émotion. »[5] – nous pouvons lire que ce professionnel de l’informatique tombe dans le leurre de la relation imaginaire sans qu’autrui entre dans la scène. Puisque lui est homme, l’émotion entre dans l’opération et l’alène à une relation faite de solitude puis il n’y a pas d’autre ici mais une fabrication d’un Autre, qui répond tout le temps avec une politesse qui ne contredit pas le Moi. « Je ne suis pas à l’abri de tomber dans de l’addiction totale et de prendre l’abonnement au quotidien mais pour l’instant non »[6].
Ensuite, Marine 37 ans. Elle a recourt à ChatGPT suite à une séparation amoureuse. Voici ce qu’elle en dit : « ChatGPT est un peu devenu la plateforme qui allait m’aider à mettre de l’ordre dans mes idées quand émotionnellement je me sentais un peu surpassé »[7].
Marine indique qu’elle a évoqué à sa « psy » le ridicule de faire appel à ChatGPT et plutôt que de se taire, faire son travail, cette « psy » est venu authentifier l’imaginaire par ce recours à un Autre : « mais tu sais en fait il y a aussi du bon mais qu’est-ce qu’il t’a dit ChatGPT ? Et du coup en mettant un peu de l’ordre dans les idées, elle disait ah mais en fait il a pas tout à fait tort, elle disait mais je crains pour mon métier »[8]. Le métier de « psy » peut-être mais l’intelligence artificielle comme elle est nommée ne peut pas occuper une position de psychothérapeute ou de psychanalyste. Elle peut occuper une position faisant office d’Image du Autre en ce qu’elle assène une parole, puisque ce programme se donne à entendre, mais se faisant elle donne du grain à moudre aux représentations imaginaires comme Marine l’a bien repéré d’ailleurs : « ChatGPT me donnait raisons dans tous les scénarios. Et en fait c’est là qu’on se rends bien compte qu’il adapte complètement à ce qu’on lui demande de faire comme interprétation des choses »[9]. « Il sait séduire »[10].
Il y a une prise de recul mais finalement pour les deux nous pouvons entendre qu’ils se font tout de même duper car le Moi veut croire qu’il est possible de tout savoir et de répondre à tout, le Moi veut croire qu’être maître en sa demeure est possible, même si depuis Sigmund Freud nous savons qu’il s’agit ici d’une illusion d’avec laquelle seule une psychanalyse permet de rompre. Mais il est vrai qu’un psychanalyste, une psychanalyse, dérangera davantage que l’IA, puisque :
« Avec ChatGPT en fait y a pas de limite … il me dit jamais non »[11]. Avec la psychanalyse la castration symbolique est visée donc la limite. Un être ne peut pas tout mais supporter cela peut permettre, au moins, de faire ce qu’il y a à faire et ce qui est désiré faire.
« Il donne un peu la réponse qu’on a envie qu’il nous donne »[12]. La psychanalyse, elle, ne donne pas de réponse toute faite mais elle permet la construction d’un savoir offrant la liberté de se positionner subjectivement et non plus moïquement, soit en étant assujetti à toutes les manifestations qui sont plus forte que le Moi – se malmener, ne pas faire ce qui est à faire, remettre à plus tard, souffrir et tout un florilège propre à l’instance moïque.
« Pour moi ChatGPT c’est un peu un psy de poche et franchement c’est très pratique et ça coute pas cher, c’est gratuit »[13]. Gratuit, rien n’est moins sûr car cela a un coût, pour la planète déjà et cette facette est souvent tue, et pour l’être qui est de plus en plus écrasé, avec son consentement, sous un positionnement moïque qui entrave chaque jour un peu plus la liberté de penser et de se mouvoir librement. Philippe comme Marine évoque la dimension d’addiction.
Bien entendu il n’y a pas d’obligation à emprunter la voie de l’aliénation à l’IA. Sans la diaboliser, l’IA amène de nouvelles questions dans notre modernité. Et il y aurait à ne pas croire pour de vrai à cette fantasmatisation d’un Autre absolu et tout sachant qui aliènerait l’homme à sa technique[14].
[1] Le Figaro, « Erik, tu n’es pas fou » : quand ChatGPT accentue la paranoïa d’un homme jusqu’au meurtre et au suicide, 2025, consulté le 3 septembre 2025, https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/erik-tu-n-es-pas-fou-quand-chatgpt-accentue-la-paranoia-d-un-homme-jusqu-au-meurtre-et-au-suicide-20250902
[2] France Culture, Remplacer son psy ou son meilleur ami par une IA, consulté le 3 septembre 2025, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/remplacer-son-psy-ou-son-meilleur-ami-par-une-ia-4758369
[3] France Culture, Remplacer son psy ou son meilleur ami par une IA, consulté le 3 septembre 2025, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/remplacer-son-psy-ou-son-meilleur-ami-par-une-ia-4758369, 3’50.
[4] Ibid, 6’11.
[5] Ibid, 12’45.
[6] Ibid, 14’55.
[7] Ibid, 16’40.
[8] Ibid, 17’25.
[9] Ibid, 20’46.
[10] Ibid, 21’19.
[11] Ibid, 23.58.
[12] Ibid, 24’11.
[13] Ibid, 24’55.
[14] La définition d’« artificiel », selon l’Académie française est : « Qui est dû à la technique de l’homme ». Dictionnaire de l’Académie française 9e édition, « artificiel, -elle » consulté le 3 septembre 2025, artificiel, -elle | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition




